ET L’EDUCATION.
Le defi de leur interdependance
Colloque sur la place
de la Santé Mentale et Soutien Psychosocial dans le processus de réparation des
victimes de violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes
contre la Paix et la Sécurité de l’Humanité (Kinshasa, Avril 2024)
Je suis en RDC depuis deux mois, accueilli par les Frères
de la Charité, dans leurs centres Hospitaliers et d’Education.
Il y a quinze jours, j’étais à Kananga. Je fus reçu par une association de femmes victimes
de violences sexuelles, pour la plupart filles-mère, et certaines handicapées. Leur
témoignage m’a bouleversé. ‘Que puis-je faire encore de ma vie… ?’
Chez ces femmes, il y a une première souffrance :
celle d’avoir été violée et, pour certaines, d’avoir mis au monde un enfant non
désiré.
A cette souffrance s’ajoute une autre : celle de ne
pas être reconnues comme victimes par la société. La société, c’est aussi l’école.
Quel paradoxe !
Alors qu’à la lumière des Droits humains fondamentaux, les
malades mentaux figurent parmi les sujets de droit les plus vulnérables,
puisqu’ils ne peuvent eux-mêmes exercer leurs droits, ils sont les oubliés
du droit et de la société en général.
La santé mentale est considérée comme un droit humain fondamental
primordial, une priorité pour son développement et indispensable
à l’exercice des autres droits. Le droit à la santé concerne bien sûr les conditions
matérielles de soins, mais aussi l’ensemble
des facteurs psychosociaux et structurels.
La dernière phase dans le droit international se focalise sur les déterminants psychosociaux de la santé pour les personnes en déplacement forcé, les personnes présentant un handicap psychosocial et les enfants et adolescents touchés par les conflits violents et portant atteinte à l’intégrité des communautés dont ils font partie, pendant des générations.
La maltraitance des enfants, en particulier la
négligence, est l’une des principales causes de traumatismes (complexes). Près
de la moitié des enfants vivant dans la pauvreté sont victimes ou témoins de
violences. Les enfants ayant besoin de plus de soins, comme les bébés, les
jeunes enfants et les enfants handicapés, les enfants qui subissent la guerre
ou la violence organisée, les enfants
réfugiés courent un risque plus grand de maltraitance et de traumatisme.
Notions
La notion de santé – en fait et en droit - a
considérablement évolué. Elle ne consiste pas seulement en une absence de
maladie ou d’infirmité mais englobe maintenant certaines préoccupations à
caractère social, telles que les conséquences de la violence et des conflits
armés. (Au niveau mondial, 1,25 million de personnes meurent chaque année des
suites de blessures consécutives à des violences.
Selon l’OMS, en 2022, plus de
280 millions de personnes dans le monde vivaient avec des troubles dépressifs
et dans les pays en développement, 85 % d’entre elles ne bénéficiaient
d’aucun traitement.)
Les formes de violence peuvent en outre être interdépendantes,
comme c’est le cas du racisme, des crimes de haine, du nationalisme xénophobe,
de la violence étatique et des conflits armés.
Selon un récent
rapport sur l’approche des Nations Unies (ONU) en matière de justice transitionnelle,
les services de santé mentale et de soutien psychosocial doivent occuper une
place centrale en Afrique, ce qui vaut spécialement pour le RDC !
Mais au fond, c’est quoi la maladie mentale ?
Aujourd’hui, selon les travaux les plus récents, la
maladie mentale est un trouble fonctionnel de la relation au monde, à autrui,
et sa survenance dépend donc aussi des normes du groupe, de la
société. La maladie mentale n’est donc pas qu’un disfonctionnement
biologique ! Si cette définition
est exacte, ce que je pense, l’école a une importance considérable dans la
lutte contre la maladie mentale. Après la
famille, l’école est en effet le lieu où l’enfant doit se sentir bien,
c’est-à-dire reconnu, respecté dans toute son identité et intégrité, dans toute
sa dignité.
Objectifs de Développement Durable (ODD) et le Droit International
J’encourage bien entendu cet objectif, tout en restant
critique ou sceptique , vu la carence systémique de mesures concrètes d’implémentation
sur le terrain. Pire : le dernier rapport 2023 sur l’état des ODD’s en RDC
indique que la santé mentale, le ‘subjective wellbeing score’ s’est
dégradé encore plus et arrive à un niveau le plus bas depuis le début des
indicateurs pour les ODD’s il y a quinze
ans…
Fixer la réalisation de ces objectifs sur le long terme,
va en outre à l’encontre des obligations juridiques existantes découlant du
droit international général et des différents traités applicables relatifs aux
droits de l’homme, lesquelles ont un effet immédiat et engagent
aujourd’hui déjà la responsabilité directe des Etats. Un Etat contrevient à ses
obligations en matière de droits de l’homme lorsqu’il n’agit pas avec la
diligence voulue pour prévenir les violations de droits ou pour enquêter sur
des actes de violence et en punir les auteurs ou pour indemniser les victimes.
A des multiples reprises, l’ONU a fait référence à
l’obligation de protéger de la violence les personnes en situation de
vulnérabilité ou d’exclusion, en particulier les femmes, les enfants, les
adolescents.
L’obligation de réaliser le droit à la santé impose aux
Etats d’adopter les mesures législatives, administratives, budgétaires et
judiciaires, ainsi que les mesures nécessaires en adoptant des politiques, des
plans d’action ou des programmes destinés à prévenir et combattre le violence
et à accorder des réparations aux victimes.
La Cour Pénale Internationale a clairement stipulé que certaines victimes,
notamment les victimes de violence sexuelle ainsi que les enfants nés d’un
viol, doivent être traités en priorité pour bénéficier de soins médicaux
physiques et psychologiques immédiats et que des réparations doivent
être accordées à la collectivité victime.
Les violences sexuelles dans les zones de conflits,
utilisées comme une arme de guerre et une tactique de torture et de terrorisme, répondent
à la notion de crime de guerre !
Le Secrétaire général de l’ONU a fait état encore
récemment des faits de conflit en RDC et il a lancé le ‘Campagne des Nations
Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit’, un cadre
stratégique à prévenir ce type de violences en luttant contre ses causes
profondes.
Une stratégie pour lutter contre la violence selon une
approche du droit à la santé doit être multisectorielle. L’enseignement
est appelé à devenir l’axe clef dans cette stratégie.
Selon une enquête récente, l’école a été désignée par les
jeunes comme l’entité sociale qui mérite le plus leur confiance, après la
famille. Les jeunes déclarent percevoir
l’école comme une source d’estime de soi, un lieu qui favorise une plus
grande conscience du monde, un endroit de soutien émotionnel.
Une abondante recherche a démontré que l’école est
considérée par les enfants et leur familles comme nettement moins
stigmatisante que des centres de santé. Le contexte scolaire permet une
intervention prenant en compte les réalités sociales et la certitude de se
trouver dans un lieu protégé.
Les traumatismes de la petite enfance peuvent comprendre
l’exposition à une situation traumatisante avant l’adolescence comme les
violences, un conflit armé, la condition de refugié.
Par vocation, l’école, l’enseignant est tourné vers l’avenir. Il s’agit de former l’enfant, l’élève pour
qu’il devienne un adulte épanoui, responsable.
C’est cet espoir qui le motive.
L’enseignant est aussi concentré sur le présent :
apprendre est en soi une joie, un bonheur, une chance. C’est dans la joie du moment présent que
l’enfant peut ressentir le bonheur d’acquérir connaissances et compétences.
Or, chacun sait que l’enfant qui a été victime de
violences est lui, tourné vers le passé, son histoire, sa
souffrance. Le futur de l’enfant victime
de violence, est hypothéqué gravement, car par le traumatisme qu’il a subi, son
identité est atteinte. Son identité
comme être social, sa confiance dans l’autre s’est profondément dégradée, sa
confiance en lui aussi et dans la nature humaine.
Il y a autant d’histoires individuelles que
d’enfants. Chaque enfant a sa propre
histoire et réagit à sa manière à la souffrance, à la perte de son identité et
de son intégrité physique ou morale. Les
uns parviennent à utiliser leurs compétences personnelles pour se rétablir, les
autres pas. Certains développent des
troubles mentaux.
Les enseignants ont un rôle essentiel à jouer dans la
reconnaissance des signes de maltraitance envers les enfants. Les enfants voient l’enseignant comme
l’une des premières personnes qui peuvent les aider à mettre fin à la
maltraitance.
Il est crucial que les enseignants et autres
professionnels de l’éducation en sachent davantage sur la maltraitance et les
traumatismes des enfants. Ils sont
d’ailleurs juridiquement et moralement tenus de signaler les signes de
violence ou de maltraitance sur enfants.
Il y a plusieurs codes de signalisation, utilisables sur téléphone ou
tablette, éventuellement adaptés aux accords conclus à l’école.
Mais ceci ne veut pas dire que l’enseignant ne puisse
rien faire :
a.
Tout
d’abord, il peut (il doit) expliquer ce qu’est la violence. La violence sous toutes ses formes, physiques
ou morales. Le sujet ne peut pas être
tabou. Au contraire !
La violence est
un thème à étudier régulièrement, depuis la petite enfance.
Grâce aux
explications données par l’enseignant et aux débats (questions-réponses) qu’il
organise, l’élève victime de violence peut se reconnaître. Il peut constater
qu’il est victime, que la société le reconnaît comme telle. Les enfants, auteurs de violences – par
exemple le harcèlement – peuvent aussi se reconnaître et réfléchir.
L’enseignant
peut expliquer les conséquences de la violence :
-
Traumatisme,
perte d’identité, risque de développer des maladies mentales ou psychosomatiques ;
-
Tendances
suicidaires ;
-
Agressivité
-
Troubles
du langage, retards scolaires ;
-
Addiction
à la drogue.
Il
peut inviter les élèves, suivant leur âge, à faire un dissertation sur la
violence ou à l’exprimer par des dessins.
b.
Ensuite,
quand l’enseignant décèle un problème d’apprentissage ou de comportement chez
l’enfant, il doit s’interroger sur sa cause. Les mauvaise notes ne sont
pas toujours dues à la paresse ou à un faible quotient intellectuel. En parlant
à l’enfant ou à ses parents, il peut découvrir qu’il y a quelque chose de grave
qui s’est produit dans la vie de l’enfant et aussi éviter des sanctions ou
réprimandes, qui accentuent encore la dégradation.
Je me limite à quatre axes de stratégie et quelques
suggestions.
L’investissement le plus efficace consiste à garantir
l’enseignement maternel et primaire, inclusif et de qualité, et vraiment
gratuit, ce qui signifie que l’Etat doit prendre en charge les salaires du
personnel des écoles publiques et conventionnées, favoriser l’accès de tous les adolescents à un
enseignement secondaire gratuit et de qualité.
L’école joue un rôle déterminant dans le développement
des enfants et, en particulier, dans l’atténuation des effets de la violence et
des conflits. L’expérience et la recherche attestent de l’efficacité d’une approche
pédagogique globale pour promouvoir la santé mentale et traiter des
problèmes comme celui du harcèlement.
Des interventions axées sur les compétences
psychosociales et émotionnelles, à l’école et dans le cadre familial,
contribuent à décourager la participations aux activités de gangs, par exemple.
L’éducation devrait donner aux enfants les moyens de s’épanouir socialement,
émotionnellement et économiquement.
Lorsque tous les jeunes reçoivent la chance d’aller à l’école, le risque
de voir se développer des sous-cultures porteuses d’exclusion est réduit.
Des experts internationaux sont totalement disponibles
pour offrir une assistance.
Une abondante recherche existe qui confirme l’importance
du renforcement organique et institutionnel des capacités des écoles et les
service d’école préscolaire à promouvoir la santé mentale et à aider les
enfants et les familles confrontés à des troubles de la santé mentale.
Ils existent multiples raisons pour garantir structurellement
des services de santé mentale et de soutien psychosocial en milieu
scolaire.
Les écoles permettent d’entrer en contact avec en
principe chaque - et en tout cas un grand nombre d’ - enfant(s) et
d’adolescents. La moitié des troubles de
santé mentale se déclare avant l’âge de 14 ans, il est donc crucial
d’intervenir le plus tôt possible.
En plus, l’école renforce la participation des parents et
des familles d’une part et le ‘school based mental health ‘ d’autre
part. Elle permet en plus aux enseignants d’acquérir une expertise, en
coopérant avec les professionnels de la santé mentale.
Il faut donc ’un
réseau (‘network’) interdisciplinaire et collaboratif des professionnels
de la santé intégré dans, ou coopérant intensément avec, l’école : ‘school
based collaborative health care networks’.
Il pourrait s’agir de services de SMSPS (Services
de Santé Mentale et de Soutien Psychosocial) fournis par un professionnel
de la santé spécialisé ou un professionnel du secteur éducatif formé et soutenu
à cette fin dans chaque école, ou de mesures visant à faire en sorte que chaque
établissement scolaire dispose d’un processus bien défini pour guider les élèves
et étudiants et les enseignants.
Suggestion : Plusieurs modèles d’approche innovative de coopération structurelle entre Soins de Santé et Education ont prouvé leurs mérites, spécialement dans des communautés démunies et d’immigrés. Il faut qu’on développe des projets pilotes financés par l’Accord de Coopération entre l’Union Européenne et le RDC.
Deuxièmement, il faut analyser dans quelle mesure la
législation nationale garantit formellement un tel cadre coopératif. Le droit
scolaire comparé fournit d’excellentes exemples de leur complémentarité et d’une
coordination réciproque.
Dans le cadre des stratégies de prévention de la
violence, l’éducation sexuelle est un moyen indispensable de prévenir la
violence, en particulier la violence à l’égard des filles, et doit être
considérée comme un droit fondamental, comme mentionné par la Cour
Interaméricaine des Droits de l’Homme :
« Refuser aux enfants l’accès à une éducation complète à la
sexualité va à l’encontre de leur droit à la santé physique et mentale »,
a dit la Cour.
Des bons exemples d’intégration réussie de la prévention
de la violence dans les programmes publics d’éducation sexuelle complète ont
été développé.
Refus absolu de chaque sorte de violence au sein de
l’école.
Le harcèlement à l’école compromet le droit des enfants à
la santé mentale. J’en déduis une leçon
cruciale pour tout ce qui a été dit : les relations communautaires et
de la société civile sont d’une importance capitale pour la santé mentale.
La stratégie la plus efficace ce concentre sur le niveau sociétal, afin
de donner des moyens d’action aux enseignants, parents et membres de la
communauté.
Il va sans dire que toute violence physique ou morale,
exercée par un enseignant, comme le fouet, est à proscrire fermement. Doivent
être bannies sans exception : les sanctions corporelles infligées aux
enfants ! On ne peut pas lutter contre la violence en étant violent.
En d’autres termes : pour être respecté,
l’enseignant doit être respectable.
Suggestion : Le développement à court terme des scénarios
communautaires, pour la lutte contre le harcèlement et l’articulation précise
de la déontologie de l’enseignant. Et aussi des méthodes positives : Une étude a démontré l’impact positif et
multifonctionnel à court terme pour la santé mentale du jeu des tambours en
groupe,
Il est grand temps de faire de la santé mentale une
priorité. La communauté internationale doit appliquer le cadre juridique
existant et contraignant, garant de systèmes de santé mentale
respectueux de la dignité et des droits de leurs usagers et des professionnels
concernés.
Il est crucial que l’Etat prenne en compte l’urgence des
droits décisifs pour l’avenir, notamment la santé et l’éducation. Des instances
internationales doivent être invitées à sanctionner la carence continue à ce
propos.
Les Chartes de l’Union Africaine sont explicites
sur leur primauté, spécialement dans cette année 2024, vu que l’Union Africaine
a choisi l’éducation comme domaine d’action commune et absolument prioritaire.
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Sources :
Les documents des Rapporteurs Spéciaux de l’ONU, de
l’ONU, SDSN International, UNESCO, OMS.
et mes propres publications concernant le Droit à
l’Education, la Mission et le Statut de l’Enseignant, et les ODD’s.
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