RD Congo: pour les
60 ans de l'indépendance, le Cardinal Ambongo tonne
Il ne pouvait en être
autrement pour l’archevêque de Kinshasa. Un homme d’Eglise sans langue de bois.
Il dresse un bilan sévère et s’en prend aux politiciens verreux à l’occasion du
60e anniversaire de l’accession du pays à l’indépendance.
Jean-Pierre
Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican
Il serait un exercice
inutile que de vouloir faire l’herméneutique ou tout autre commentaire de
l’homélie du Cardinal Fridolin Ambongo, archevêque métropolitain de Kinshasa,
en République démocratique du Congo. Ses mots n’ont pas de second sens. Il faut
les comprendre tels qu’ils sont dits : clairs et sans ambages. De la
gestion chaotique de la chose publique, de la souffrance de la population, de
l’impunité des politiciens, de l’insécurité récurrente, de la Commission
électorale nationale indépendante (CENI), des rapports avec les pays voisins,
du poids des Eglises Catholique et Protestante, etc, le Cardinal Ambongo a dit
tout haut ce qu’aucun autre citoyen congolais ne peut dire. Ou si quelqu’un
d’autre le disait, il ne sera pas autant audible. Je préfère et suggère une
lecture attentive de cette homélie de l’archevêque de Kinshasa. Moi je retiens
son avertissement prophétique : «Lorsque le moment viendra, lorsqu’ils
s’obtiendront à faire passer ces lois et ce personnage à la tête de la CENI, il
faudra qu’il nous trouve sur leur chemin».
*Twitter :
@JPBodjoko E-mail: jeanpierre.bodjoko@spc.va
Texte intégral de
l’homélie du Cardinal Fridolin Ambongo
Homélie de Son
Eminence Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU, Archevêque Métropolitain de
Kinshasa, le 30 juin 2020 à l’occasion du 60ème anniversaire de l’Indépendance
de la RD Congo
Liturgie de la Parole
du mardi 30 juin 2020 (60 ans de l’Indépendance de la RDC)
1ère lecture : Exode
13, 3-10 Psaume 5, 6-8 Evangile : Matthieu 25, 14-30
Excellence Monseigneur
le Vicaire Général, Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur, Chers Compatriotes
1. La RD Congo, notre
pays, célèbre aujourd’hui un jour exceptionnel : le 60ème
anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Nous
n’avons pas le droit d’oublier ce jour qui a été l’aboutissement de
tant de sacrifices et du sang versé par les vaillants fils et filles du Congo.
2. Comme nous l’avions
entendu dans la première lecture, à la sortie d’Egypte, Moïse avait dit aux
Israélites : « Souvenez-vous de ce jour » (Ex 13,3.8). Et nous
peuple Congolais, nous avons ce grave devoir de mémoire, de nous souvenir de ce
jour. Seulement, l’événement que nous célébrons aujourd’hui est aussi, en
partie, à la source de notre malheur d’aujourd’hui. Contrairement aux pays
voisins, l’indépendance du Congo, obtenue le 30 juin 1960, a été une
indépendance plus rêvée que réfléchie : alors qu’ailleurs, on réfléchissait sur
le sens de l’indépendance, on préparait les gens aux conséquences de
l’indépendance ; nous, au Congo, nous rêvions l’indépendance ; de telle sorte
que notre indépendance a été rêvée avec émotion, avec passion, avec
l’irrationalité, au point qu’à ce moment-là, nous ne savions pas ce qui nous
attendait le lendemain. La conséquence sur le comportement des Congolais qui
ont eu à accéder des responsabilités continue encore à se vérifier aujourd’hui.
3. Rêver de
l’indépendance signifiait pour les Congolais de l’époque : accéder à l’indépendance
pour occuper les postes des Blancs, s’asseoir sur les sièges des Blancs, jouir
des avantages qui étaient réservés aux Blancs et pas aux Indigènes à l’époque.
Accéder à l’indépendance signifiait pour beaucoup, la fin des travaux forcés,
justement ; mais au-delà des travaux forcés, l’indépendance était comprise
comme la fin de tous les travaux salissants. A l’indépendance, nous ne ferons
plus des travaux de terre, nous serons tous des chefs. Nous allons occuper les
postes des blancs. Le lendemain de l’indépendance, et cela s’est vérifié avec
la décision de la zaïrianisation : les Congolais ont occupé les postes des
Blancs. Et étant donné qu’ils ne comprenaient rien de ce que faisaient les
Blancs quand ils occupaient tel ou tel poste, l’exercice d’autorité, l’exercice
des charges, que ce soit des charges politiques ou dans le socio-économiques ou
dans l’administration a été compris comme l’occasion de jouir comme les Blancs.
4. Ainsi, l’exercice
d’autorité au Congo a été compris comme une occasion de jouissance. On accède
au pouvoir pour jouir, non pas rendre service à ceux qui sont sous ma
responsabilité mais pour jouir comme le Blanc. Alors que ce dernier, quand il
était assis sur ce fauteuil, il ne faisait pas que jouir. Il travaillait. Il
comprenait le sens de son travail. Nous, par contre, nous avons mis de côté le
service à rendre aux autres et nous avons mis l’accent sur la notion de la
jouissance.
5. Un regard
rapide sur les soixante ans qui viennent de se passer montre que ce grand rêve
des Congolais a été progressivement brisé par une série des faits et
événements. Nous avons connu la succession des régimes
autocratiques qui arrivent au pouvoir comme les colons sans aucun
souci de la volonté du peuple et cela continue jusqu’aujourd’hui : par la
force, les guerres ou par la ruse, la fraude et en installant un système
égoïste dans la gestion de la chose publique au lieu de promouvoir le bien-être
commun du peuple congolais à qui on estime qu’on a aucun compte à lui rendre
parce que ce n’est pas à grâce de lui qu’on est arrivé au pouvoir. On ne se
sent pas du tout redevable à ce peuple. A cela s’ajoutent la
culture de l’impunité pour les grands. On sanctionne les petits qui volent
une poule, qui vole une chèvre, qui donne un coup à quelqu’un. Il peut se
retrouver à Makala. Les grands, c’est l’impunité totale. Heureusement que il y
a quelque chose qui commence à bouger. Il y a l’acharnement de la
majorité parlementaire actuelle à faire main basse sur la CENI et la
Magistrature. Ce sont des pratiques qu’on ne peut jamais tolérer. Parce que
nous savons que de ces deux Institutions, dépendent l’indépendance du peuple.
Et ses principes sont consacrés dans l’Etat de droit. Quand on parle de l’Etat
de droit, il y a ces principes-là : l’indépendance de l’organe qui organise les
élections et l’indépendance de la Justice, de la Magistrature. Si vous n’avez
pas ces deux-là, oubliez l’importance qu’on puisse accorder au peuple.
6. Comment comprendre
que 60 ans après son accession à la souveraineté internationale, le
peuple congolais continue à s’appauvrir au point d’être classé aujourd’hui
parmi les peuples les plus misérables de la terre. L’inviolabilité de son
territoire n’est vraiment pas garantie et le projet de la balkanisation du
Congo toujours à l’ordre du jour. Quand nous regardons tout ce qui se
passe à l’Est du pays, la situation à Ituri, avec l’insécurité organisée,
malheureusement par certains responsables à partir de Kinshasa ; la situation à
Beni-Butembo, avec les ADF-NALU qui sont toujours là. Comment expliquer que
toute une armée du pays comme le Congo ne soit pas capable de déloger ces
quelques individus qui sont dans la brousse à Beni. Et pourtant, vous vous en
souviendrez qu’au mois de janvier, l’Armée avait solennellement annoncé ici la
fin de ces Mouvements ADF-NALU qu’elle avait pris le contrôle de tout le
territoire et qu’elle les avait mis hors d’état de nuire. Pourtant, ils sont
toujours là et toujours menaçants. Il y a la situation au Sud-Kivu, dans le
Diocèse d’Uvira, autour de Minembwe, où les Armées des pays voisins viennent
s’affronter chez nous : Rwanda et le Burundi. Et que dire de la situation au
Tanganyika : même la Zambie qui, jusqu’ici, est considérée comme un pays ami,
se permet d’occuper notre territoire. La vérité est que le Congo qui a 9
voisins, tous sont présents chez nous : soit par leurs Armées, c’est la plus
part des cas ; soit par leurs immigrés. Nous savons que derrière les immigrés
se cache la politique d’occupation de notre pays. C’est le cas de Grand Nord,
avec les réfugiés venant de Centrafrique et avec les éleveurs Mbororo. Quant à
la spoliation de ses ressources naturelles, elle se fait au grand jour, avec la
complicité des certains Congolais, sans que la population ne puisse en profiter
réellement.
7. Nous devons bien le
reconnaître, chers frères et sœurs, après 60 ans d’indépendance, le constat est
sans appel : nous avons honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de
faire du Congo un pays plus beau qu’avant. Nous n’avons pas aidé notre peuple à
redresser son front plus que jamais courbé. En tout, nous avons collectivement
failli.
8. Que devons-nous
faire ? L’évangile de ce jour nous invite à la responsabilité. Car
chacun de nous aura à rendre compte devant Dieu de ce qu’il aura fait de ses
talents, de ce beau pays aux potentiels immenses : qu’avez-vous fait de votre
pays ? C’est la question qui nous sera posée lorsque nous présenterons devant
le Tribunal Suprême. Qu’avez-vous fait de toutes ces richesses, de toutes ces
potentialités que je vous ai données gracieusement. A question, ce n’est pas la
classe politique qui va aider le pays à sortir de la détresse. Nous devons
sortir de cette mentalité comme on l’entend souvent à la cité : que le
Président ou le Gouvernement vienne faire ceci ou cela. Ce sont des
comportements irresponsables. C’est le peuple lui-même.
9. Nous savons
très bien que la coalition CACH-FCC qui est au pouvoir depuis plus
d’une année. Cette coalition sait très bien comment elle avait foulé au pied la
volonté du peuple pour en arriver là. La coalition sait. Maintenant, ses
membres le disent. Malgré tout, le peuple avait fini par se résigner et
accepter le fait accompli. Un peu comme dans le récit de Jacob qi avait volé la
bénédiction destinée à son frère aîné Esaü (cf. Gn 27), le peuple espérait que
du mal originel pouvait sortir un bien. Malheureusement, le constat est là.
10. Il n’y a de
coalition au pouvoir que de nom. De part et d’autre, c’est le désamour, le cœur
n’est plus à l’ouvrage. Au lieu de travailler ensemble autour d’un programme
commun de gouvernement, les Coalisés ne se font plus confiance. Ils ont
développé un rapport dangereux de rivalité qui risque d’entrainer tout le pays
dans le chaos définitif. Pendant ce temps, l’action gouvernementale est
complètement paralysée et le service légitime à rendre à la population est
sacrifiée. Le peuple est abandonné. En définitive, la coalition au
pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait normalement disparaître. C’est
de la responsabilité de ceux qui se sont coalisés, le Président et le Président
sortant, de faire éclater cette coalition qui conditionne le développement de
notre pays. Et aussi longtemps que cette coalition sera là, il n’y a rien à
espérer de nos Gouvernants. C’est inacceptable.
11. Nous dénonçons les
velléités actuelles, surtout de la Majorité parlementaire actuelle, qui tendent
à remettre en question les espoirs de la population pour un pouvoir judiciaire
réellement indépendant et au service du pays, et non des individus, et aussi
pour une CENI au-dessus de tout soupçon. Sur ces deux points : la position de
l’Eglise Catholique est claire. 1) Autour de la question de la CENI, nous
notons de la part de la Présidente de l’Assemblée Nationale une attitude de
mépris vis-à-vis de l’Eglise Catholique, de l’Eglise Protestante et de la
population congolaise. Ces deux Eglises qui représentent plus de 80% de la
population congolaise ont dit non à la nomination d’un personnage qui a déjà
fait ses preuves dans les fraudes électorale. Malgré le non de ces deux
Eglises, Madame la Présidente continue tranquillement à faire croire au peuple
les Confessions religieuses se sont réunies pour signer un document pour la candidature
de ce Monsieur qui était le cerveau-moteur du système Naanga. Nous n’en voulons
pas.
2) La deuxième preuve
du mépris que l’Assemblée Nationale a pour le peuple, c’est par rapport à ces
trois lois Minaku-Sakata. Le peuple n’en veut pas. L’Eglise Catholique,
l’Eglise protestante, les Associations Civiles se sont prononcées massivement
contre ces lois qui ne visent qu’à protéger ceux qui se sentent coupables. Et
là, nous notons aussi une attitude de mépris, d’arrogance qui a caractérisé
l’ancien système. Nous ne l’acceptons pas. Dès lors, et à l’occasion de la
célébration de l’indépendance de notre pays, je lance cet appel à l’ensemble de
notre peuple, de notre population, à la Société Civile, à l’Eglise Catholique
qui est déjà à l’ordre de marche, à l’Eglise Protestante à s’élever, à
redresser le front pour faire barrage à ces velléités qui n’ont comme unique
objectif que de protéger les intérêts partisans de ceux qui ne veulent pas
d’une justice juste. Les jours à venir seront difficiles. Et je tiens ici à
demander au peuple de se tenir en ordre de marche. Lorsque le moment viendra,
lorsqu’ils s’obtiendront à faire passer ces lois et ce personnage à la tête de
la CENI, il faudra qu’il nous trouve sur leur chemin. On ne peut pas continuer,
après
60 ans de l’indépendance du pays, à gouverner par défi, par mépris du peuple,
par mépris de l’Eglise Catholique et de l’Eglise Protestante.
12.
Que par l’intercession de nos Bienheureux Martyrs, Isidore Bakanja et
Marie-Clémentine Anuarite, Dieu libère le Congo de tous ceux qui l’écrasent et
le conduise à sa pleine souveraineté.
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Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU, ofm cap
Archevêque
Métropolitain de Kinshasa
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