Entretien réalisé par Hélène Destombes -
Cité du Vatican
Le président haïtien Jovenel Moïse, de
plus en plus contesté, a annoncé après cette prise d’otage un remaniement
ministériel mais le pays est désormais plongé dans une crise politique,
économique est sécuritaire aigüe. Le peuple haïtien, à qui le Pape François
avait exprimé sa proximité dans son message Urbi et Orbi de Pâques, est exsangue, victime de gangs qui
profitent du chaos pour étendre leur emprise.
Ce climat de violences a des
conséquences dramatiques sur le système éducatif haïtien, qui représente l’un
des derniers piliers de la société. Josette Bruffaerts, universitaire
franco-haïtienne, est la présidente de l'association Haïti Futur, qui a pour objectif
de développer une éducation de qualité et de promouvoir l’entreprenariat dans
le pays. Elle décrit un pays à la dérive.
La situation dans le pays ne cesse de se dégrader. Durant toute ma vie en Haïti, je n’ai jamais connu de tels événements. C’est vraiment le mot déliquescence qu’il faut employer pour ne pas dire effondrement. Nous sommes vraiment un concentré de ce qui signifie la faillite de l’État. Il y a plus de 4,5 millions de personnes aujourd’hui en situation de détresse, à la fois alimentaire mais aussi en termes de santé. À cela, s’ajoute la présence de détenus dangereux qui viennent des prisons nord-américaines et qui ont débarqué dans le pays. Les kidnappings n’existaient pas avant en Haïti.
Quelles sont les répercussions de la
violence, qui gangrène le pays, sur le système éducatif haïtien ?
Aujourd’hui, les enfants sont kidnappés
en allant à l’école. Avec l’Église, l’école est vraiment actuellement la seule
institution structurée. Les enfants se lèvent, s’habillent, respectent des
horaires. Il y a une prise en charge, mais aujourd’hui tout cela est
déstructuré parce que les parents ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école et
les enfants, la peur au ventre, ne peuvent pas étudier. L’école était le
dernier bastion de ce qui compose une société, mais elle est aujourd’hui mise à
mal.
L’abandon scolaire est-il devenu un
phénomène chronique en Haïti ?
Tout à fait. Actuellement il y a dans le
pays 40% d’enfants en âge d’être scolarisé qui ne fréquentent pas l’école. Il y
a donc un taux d’analphabétisme très élevé. L’abandon scolaire est
extraordinaire. Sur cent élèves qui rentrent en classe de CP (cours
préparatoire) seuls vingt-neuf parviendront à l’école secondaire. Il y a donc
un abandon de près de 70%. Aucun pays au monde, me semble-t-il, n’arrive à ce
niveau.
L’Église catholique est-elle, en quelque
sorte, l'institution permettant à l’éducation de se maintenir dans le
pays ?
L’école à 90% est privée en Haïti,
l’État ne prend en charge qu’à peine 10% des écoles. La présence est
assurée par l’Église catholique et l’Église protestante. Dans les campagnes par
exemple, c’est l’école dite presbytérale qui donne une chance aux enfants,
complètement abandonnés par l’État. Il s’agit souvent d’écoles où les personnes
font avec les moyens du bord, et la classe se fait parfois dans des églises. Il
y cependant une présence, une forme de gouvernance. Cela signifie qu’il y a
encore quelque chose qui soutient ce pays parce qu’en Haïti l’école ne
représente pas seulement un apprentissage scolaire. Elle enseigne aussi le
savoir-vivre, un certain apprentissage de la vie. Il n’y pas de centres
culturels en Haïti, il n’y a pas beaucoup de lieus de socialisation comme dans
d’autres pays. L’école est donc le pilier pour refonder la société haïtienne.
Moi-même j’ai été sauvé par l’école, par l’éducation car je suis originaire
d’une famille nombreuse rurale. Mon père a dû aller à Cuba couper la canne à sucre
pour nous éduquer. L’école est le pilier dans lequel les Haïtiens placent leur
espoir.
Le Pape François a proposé un nouveau modèle éducatif mondial basé notamment sur la dignité des
personnes, l’écoute des enfants et la généralisation de l’instruction pour les
fillettes. Votre association, Haïti Futur, tend-t-elle à promouvoir ce
modèle ?
C’est tout à fait mon langage. Au sein
de l’association, la dignité est au centre. Nous encourageons beaucoup
l’autonomie et n’employons pas le terme humanitaire. Dans notre langage c’est
le mot humanité qui a sa place. Nous avons, par exemple, lancé une initiative
qui s’intitule «Adopter une école à moderniser». Plutôt que de donner une
bourse à un enfant, nous proposons de parrainer une école afin de reconstituer
le tissu social. Les mots importants, pour moi, sont espoir, dignité
courage. Ils représentent Haïti et je suis convaincue que le pays va se
relever.
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