Le groupe scolaire Saint-Vincent d’Hendaye, sur la côte basque, accueille 420 élèves de quinze nationalités différentes. Si la différence fait ici partie du quotidien des jeunes, c’est d’abord parce qu’elle se vit et se travaille au sein de l’équipe éducative.
Par Aurélie Sobocinski
En ce matin de mai, les collégiens de Saint-Vincent
appliquent les dernières touches à l’un des projets phare de l’année : une
grande fresque multilingue autour du mot « fraternité » qui égaiera
la cour. Dans cet établissement familial d’Hendaye qui comprend une école et un
collège, la différence (culturelle, sociale, linguistique) fait partie du
quotidien des 420 élèves, aux quinze nationalités différentes – du Sénégal à la
Colombie, en passant par la Moldavie et les pays du Maghreb.
« Ici, l’accueil de chacun dans sa singularité
est une culture, inscrite dans l’ADN de l’établissement. Avant la dimension
scolaire, on veut d’abord donner aux jeunes un espace à vivre leur permettant
de rejoindre le groupe et de se sentir partie prenante »,
annonce Adeline Vincien, cadre éducatif à Saint-Vincent depuis quinze ans. Un
accompagnement particulier est notamment proposé aux primo-arrivants et leurs
familles, ainsi que des heures de français langue étrangère dispensées par une
enseignante spécialement formée et deux autres à la retraite. Sans oublier un
tutorat dans le cadre de la classe qui invite tout élève à partager les notions
qu’il maîtrise avec ses camarades.
Si un tel terreau semble particulièrement propice à
l’expérience de la fraternité, reste l’enjeu principal : celui de
l’habiter au quotidien, insiste Philippe Bancon, chef d’établissement depuis
2013. « La fraternité n’est pas un état, elle est avant tout
relation. C’est un chemin, une attention constante portée à
l’autre, qui n’est pas facile à construire et qui peut devenir fadasse très
rapidement ! », poursuit l’ancien délégué général des Scouts et
Guides de France.
La communication non violente, un levier utile
Pour approfondir cet élan et le cultiver au quotidien,
le chef d’établissement, sa collègue de l’école primaire, Martine Gaunet, et la
responsable de la vie scolaire, ont choisi de creuser d’abord le sillon avec
les adultes de la communauté éducative. Depuis un an et demi, le trio de
l’équipe de direction a initié le développement de la communication non
violente (CNV) comme outil de médiation dans la résolution des conflits en
particulier lors de la conduite des entretiens avec les enfants, les parents,
etc. « La première mission lorsque l’on veut piloter un
établissement scolaire, c’est de prendre en compte les adultes et plus
précisément leur croissance, souligne Philippe Bancon. Tout ce que
l’on souhaite que les enfants vivent, il faut que les adultes eux-mêmes
l’expérimentent. La cohérence entre l’animation, le management, l’organisation
et les finalités éducatives est centrale. Et pour se concrétiser, elle doit
s’appuyer sur une méthodologie. »
Parmi les outils à disposition, la CNV est apparue
comme un levier idéal pour aborder collectivement les questions éducatives. « Dans
le travail sur la fraternité, les moments les plus forts ne sont pas ceux qui
peuvent se vivre entre amis mais entre des personnes qui ont du mal à se voir.
Et au sein d’un établissement, il y en a comme partout, indique Adeline
Vincien. Pour nous, chaque difficulté relationnelle est une occasion
d’éducation. La fraternité commence par la confrontation avec
l’autre, la prise de conscience de ce qui lui a été dit ou fait. Il y a, pas
loin derrière, la question de l’empathie. »
Depuis
la rentrée, cinq soirées de formation ont été organisées pour les personnels
Ogec, et en décembre dernier, les Rendez-vous de la fraternité ont été
l’occasion d’une première réflexion commune avec les enseignants sur le sujet.
Cette volonté d’intégrer tous les adultes de l’établissement est une question
de cohérence là aussi : « Chacun est responsable des
questions éducatives et doit pouvoir prendre part au pilotage global de
l’établissement », soutient Martine Gaunet. D’ici l’été, deux membres
du personnel Ogec, un enseignant et le chef d’établissement du second degré
participeront également à une formation à la CNV appliquée au milieu éducatif,
en attendant la proposition d’un cycle d’approfondissement à l’ensemble des
enseignants...
Vers un collège coopératif ?
Sur le terrain déjà, l’amélioration du climat est
perceptible : les sanctions ont été divisées par deux, et se traduisent souvent
par des « travaux d’intérêt collectif ». Du côté des adultes, la
CNV change profondément la posture dans la régulation des petits et grands
conflits. « D’arbitre on devient médiateur, observe
Adeline Vincien, en laissant chacun prendre la parole, ce qui est loin
d’être évident et nécessite beaucoup de temps et d’énergie. Mais cela
fonctionne très bien et il n’est pas rare d’assister à des moments magiques de
basculement où les enfants se reconnaissent dans la souffrance de
l’autre. »
Si la posture fait débat chez les enseignants, elle
est l’occasion aussi d’un vrai dialogue sur la pratique professionnelle, comme
en témoigne Jean-Bernard Mingo, enseignant d’EPS à Saint-Vincent depuis
trente-sept ans : « Sans être pour l’action/réaction, trop
chercher à écouter et à comprendre n’est pas toujours la solution. À un moment,
si cela recommence, il faut sanctionner beaucoup plus et je n’hésite pas à
le dire en conseil ! Mais cela s’exprime sans tensions parce qu’un réel
échange est possible entre nous. »
Guidé par le même souci de cohérence, Philippe Bancon
aimerait aller plus loin encore dans le mode de gouvernance et instituer
davantage d’horizontalité entre les adultes… pour mieux faire vivre la
coopération aux élèves. Le chemin est long. « J’ai soumis aux
enseignants la proposition de passer à un collège coopératif. L’idée était
d’attribuer une partie de mes prérogatives – celles relevant du collectif comme
les demandes d’ouverture de classe, l’organisation du collège, les horaires – à
l’assemblée générale des professeurs tandis que j’aurais conservé les décisions
relatives aux pertes horaires et répartitions de classes. Au vote, deux tiers
des enseignants ont refusé et exprimé le besoin d’avoir un chef pour diriger. »
Philippe Bancon a donc opté pour une autre voie :
celle d’encourager et de soutenir chacun à devenir expert et à prendre de
nouvelles responsabilités au sein de l’équipe, au-delà de son champ
disciplinaire (en communication, en gestion mentale, en neurosciences, en
BEP-ASH (1)…). « C’est ici que l’horizontalité rejoint à mon sens
la fraternité. Sans identité assumée et sans reconnaissance de la singularité
de chacun, pas de fraternité ! »
(1). Besoins éducatifs particuliers
- Adaptation scolaire et scolarisation des élèves en situation
de handicap.
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