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par Delphine Allaire – Cité du Vatican
«Seule la confiance, et
“rien d’autre”, il n’y a pas d’autre chemin pour nous conduire à l’Amour qui
donne tout.» La date de cette publication, mémoire de sainte Thérèse d’Avila, a
pour but de présenter sainte Thérèse de l’Enfant Jésus «comme un fruit mûr de
la réforme du Carmel et de la spiritualité de la grande sainte espagnole», explique
le Souverain pontife en préambule, touché par «la lumière et l’amour
extraordinaires» rayonnant de la jeune religieuse morte à 24 ans, patronne des
missions, patronne de la France. Lire l'intégralité de l'exhortation.
Dès le premier chapitre,
le Pape revient sur l’âme missionnaire de la carmélite entrée dans les ordres
«pour sauver les âmes».[1] Les dernières pages de l’Histoire d’une âme[2] sont
un testament missionnaire, affirme François, saluant sa manière de concevoir
l’évangélisation «par attraction»,[3] «non par pression ou prosélytisme».
«Cette grâce libère de
l’autoréférentialité», note le Saint-Père, sondant le cœur de Thérèse dans
lequel «la grâce du baptême devient ce torrent impétueux qui se jette dans l’océan
de l’amour du Christ, emportant avec lui une multitude de sœurs et de frères».
Le Pape François revient
sur «la petite voie» de la confiance et de l’amour, cœur de la spiritualité
thérésienne. Thérèse raconte cette découverte de la petite voie dans l’Histoire
d’une âme :[4] «Je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté; me
grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes
mes imperfections; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une
petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle».[5]
L’abandon quotidien
23. Le Successeur de
Pierre invite à ne pas comprendre la confiance que Thérèse promeut «seulement
par rapport à la sanctification et au salut personnels», mais dotée d’un sens
intégral qui embrasse la totalité de l’existence concrète et s’applique à toute
notre vie où nous sommes souvent envahis par les peurs, par le désir de
sécurité humaine, par le besoin de tout contrôler. C’est là qu’apparaît
l’invitation à un saint «abandon», qui libère «des calculs obsessionnels, de
l’inquiétude constante pour l’avenir, des peurs qui enlèvent la paix».
25. Thérèse a aussi vécu
la foi la plus forte et la plus certaine «dans l’obscurité de la nuit et même
dans l’obscurité du Calvaire». Son témoignage atteint son apogée dans la
dernière période de sa vie, dans sa grande «épreuve contre la foi»,[8]
commencée à Pâques 1896. Dans son récit [9], elle relie cette épreuve à la
douloureuse réalité de l’athéisme en cette fin du XIXe siècle, «âge d’or»
positiviste et matérialiste. Lorsqu’elle écrit que Jésus avait permis que son
âme «fût envahie des plus épaisses ténèbres»,[10] elle désigne ces ténèbres de
l’athéisme et le rejet de la foi chrétienne. «Thérèse perçoit, dans ces
ténèbres, le désespoir, le vide du néant [11]», assure le Saint-Père, rappelant
comment «l’experte en science de l’amour» a vaincu le mal. «Le récit de Thérèse
montre le caractère héroïque de sa foi, sa victoire dans le combat spirituel
face aux tentations les plus fortes. Elle se sent la sœur des athées et se met
à table, comme Jésus, avec les pécheurs (cf. Mt 9, 10-13)».
29. Le Souverain pontife
rappelle à cet égard que le péché du monde est certes immense, mais il n’est
pas infini comme l’est l’amour miséricordieux du Rédempteur. «Thérèse est
témoin de la victoire définitive de Jésus sur toutes les forces du mal par sa
passion, sa mort et sa résurrection. Mue par la confiance, elle ose écrire:
‘’Jésus, fais que je sauve beaucoup d’âmes, qu’aujourd’hui il n’y en ait pas
une seule de damnée. Jésus, pardonne-moi si je dis des choses qu’il ne faut pas
dire, je ne veux que te réjouir et te consoler’’.[12]»
31. L’Histoire d’une âme est aussi un témoignage de charité, relève le Successeur de Pierre. L’acte d’amour “Jésus, je t’aime”, continuellement vécu par Thérèse comme une respiration, est la clé de sa lecture de l’Évangile. Elle habite l’Évangile avec Marie et Joseph, Marie Madeleine et les Apôtres.
36. Thérèse vit la
charité dans la petitesse, dans les choses les plus simples de la vie
quotidienne. «En effet, alors que les prédicateurs de son temps parlaient
souvent de la grandeur de Marie de manière triomphaliste, éloignée de nous,
Thérèse montre, à partir de l’Évangile, que Marie est la plus grande dans le
Royaume des Cieux parce qu’elle est la plus petite (cf. Mt 18, 4), la plus
proche de Jésus dans son humiliation», écrit encore le Saint-Père, ajoutant:
«Elle voit que, si les récits apocryphes sont remplis de passages frappants et
merveilleux, les Évangiles nous montrent une existence humble et pauvre, vécue
dans la simplicité de la foi». Ainsi Marie a été la première à vivre la «petite
voie» dans la foi pure et l’humilité, rappelle encore le Pape.
38. François développe
ensuite l’amour de Thérèse pour l’Église, hérité de sainte Thérèse d’Avila:
«Elle a pu atteindre les profondeurs de ce mystère». 39. Au chapitre 12 de la
première Lettre de saint Paul aux Corinthiens, l’Apôtre utilise la métaphore du
corps et de ses membres pour expliquer que l’Église comprend une grande variété
de charismes ordonnés selon un ordre hiérarchique. Mais cette description ne
suffit pas à Thérèse, note le Pape. Elle poursuit ses recherches, lit l’“hymne
à la charité” du chapitre 13, y trouve sa réponse: «La Charité me donna la clef
de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps, composé de
différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait
pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant
d’amour. Je compris que l’Amour renfermait toutes les vocations, que l’Amour
était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot,
qu’il est éternel!»
45. C’est ainsi la
confiance qui nous conduit à l’Amour, libère de la peur, aide à détourner le
regard de nous-mêmes, écrit le Saint-Père. «Cela nous laisse un immense torrent
d’amour et d’énergies disponibles pour rechercher le bien des frères. Et ainsi,
au milieu de la souffrance de ses derniers jours, elle pouvait dire: «Je ne
compte plus que sur l’amour».[13] À la fin, seul compte l’amour. La confiance
fait jaillir les roses et les répand comme un débordement de la surabondance de
l’amour divin.»
48. Tout n’est pas
central, car il y a un ordre ou une hiérarchie entre les vérités de l’Église,
rappelle François -et «ceci vaut autant pour les dogmes de foi que pour
l’ensemble des enseignements de l’Église, y compris l’enseignement moral»-,[16]
mais le centre de la morale chrétienne est la charité, réitère le Pape. 49. Et
François d’affirmer là que l’apport spécifique de la petite Thérèse comme
sainte et comme docteur de l’Église n’est pas «analytique, comme pourrait
l’être par exemple celui de saint Thomas d’Aquin». «Son apport est plutôt
synthétique, car son génie est de nous conduire au centre, à l’essentiel, au
plus indispensable», conclut le Souverain pontife.
50. «Théologiens,
moralistes, penseurs de la spiritualité, ainsi que les pasteurs et chaque
croyant dans son milieu, nous devons encore recueillir cette intuition géniale
de Thérèse et en tirer les conséquences tant théoriques que pratiques, tant
doctrinales que pastorales, tant personnelles que communautaires. Il faut de
l’audace et de la liberté intérieure pour y parvenir», exhorte le Pape. 52. Du
ciel à la terre, l’actualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la
Sainte Face demeure dans toute sa «petite grandeur», ajoute-t-il, concluant
l’exhortation par cette litanie pour notre temps:
[1] Ms A, 69v°, p.
187.
[2] Cf. Ms C,
33v°-37r°, pp. 280-285.
[3] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24
novembre 2013), n. 14 : AAS 105 (2013), pp. 1025-1026.
[4] Cf. Ms C,
2v°-3r°, pp. 237-238.
[5] Ibid., 2v°, p.
237.
[6] Cf. Exhort. ap.
Gaudete et Exsultate (19 mars 2018), nn. 47-62 : AAS 110 (2018), pp. 1124-1129.
[7] Le Concile de Trente
l’expliquait ainsi : « Quiconque se considère lui-même, ainsi que sa propre
faiblesse et ses mauvaises dispositions, peut être rempli d’effroi et de
crainte au sujet de sa grâce » (Décret sur la justification, IX : DS, n. 1534).
Le Catéchisme de l’Église Catholique le reprend lorsqu’il enseigne qu’il est
impossible d’avoir une certitude sur nos propres sentiments ou sur nos œuvres
(cf. n. 2005). La certitude de la confiance ne se trouve pas en nous-mêmes ; le
propre moi ne fournit pas la base de cette certitude, qui ne repose pas sur une
introspection. D’une certaine manière, saint Paul l’exprimait ainsi : « Je ne
me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas
pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le
Seigneur » (1 Co 4, 3-4). Saint Thomas d’Aquin l’expliquait ainsi : puisque «
la grâce est de quelque manière imparfaite en ce sens qu’elle ne guérit pas
totalement l’homme » (Summa I-II, q. 109, art. 9, ad 1), « il reste aussi une
certaine obscurité d’ignorance dans l’intelligence » (ibid., co).
[8] Ms C, 31rº, p.
277.
[9] Cf. ibid.,
5rº-7vº, pp. 240-244.
[10] Ibid., 5vº, p.
241.
[11] Cf. ibid., 6vº,
pp. 242-243.
[12] Pri 2, p. 958.
[13] LT 242, à Sœur
Marie de la Trinité (6 juin 1897), p. 599.
[14] Exhort. ap.
Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 35 : AAS 105 (2013), p. 1034.
[15] Ibid., n. 36 : AAS
105 (2013), p. 1035.
[16] Ibid.
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