Aicha Bah Diallo « L’éducation doit être la priorité des dirigeants africains »
Propos recueillis
par Raoul Mbog (envoyé spécial à Marrakech)
Aicha Bah Diallo lors d'un symposium sur les partenariats public-privé en
matière d'éducation, Washington DC, Elle est incapable de faire une phrase sans
prononcer un ou deux mots d’anglais. Ce style souvent emprunté au jargon du
marketing moderne contraste avec le port altier, presque princier d’Aicha Bah
Diallo, avec son grand boubou de bazin et son foulard impeccablement noué sur
la tête.
Cette native de Labé, dans le centre de la Guinée, un pays dont elle a été
ministre de l’éducation (de 1990 à 1996) avant d’occuper d’importantes
responsabilités à l’Unesco et de fonder le Forum des éducatrices africaines
(FAWE), se dit fière de son bilinguisme. « Un outil » qu’elle utilise lors des
forums et conférences internationales auxquelles elle est invitée pour parler
des questions d’éducation en Afrique subsaharienne.
Selon des chiffres des Nations unies, deux tiers des 75 millions d’enfants
qui n’ont pas accès à l’éducation dans le monde sont issus de cette région.
Lire aussi : A
Marrakech, les Clinton en campagne… pour leur fondation
Aicha Bah Diallo
a rappelé cette réalité lors de la conférence de l’Initiative mondiale pour
l’Afrique et le Moyen-Orient organisée par la fondation Clinton du 5 au 7 mai,
à Marrakech au Maroc.
Mais elle a surtout plaidé pour que l’éducation soit la priorité des
priorités pour les dirigeants et tous les acteurs de la société civile en
Afrique subsaharienne où l’accès des jeunes à l’université était il y a trois
ans encore de seulement 7 % contre 76 % en Occident. Celle qui est aussi
l’ancienne proviseure du lycée de Conakry (entre 1966 et 1984), sous le régime
socialiste de Sékou Touré, œuvre à un renforcement des partenariats
public-privé.
Le développement des partenariats public-privé en
matière d’éducation est-il une manière implicite de privatiser davantage ce
secteur ?
Jusqu’ici, nous avons formé les jeunes sans tenir compte des besoins de
l’économie des pays et donc des besoins du secteur privé. De telle sorte que
les jeunes ne trouvent pas d’emploi au sortir des écoles.
En réalité, nous
avons passé notre temps à former des chômeurs. Ce qu’il faudrait, c’est que les
universités adaptent leurs programmes de formation aux nécessités du secteur
privé, que les deux travaillent mieux ensemble. Sans cela, non seulement nous
aurons toujours un problème d’emploi des jeunes mais nous n’aurons jamais assez
de moyens pour créer les conditions d’un meilleur accès à l’éducation de base.
A vous entendre, c’est au secteur privé de définir
ce que doit être l’éducation dans les pays africains.
N’est-ce pas dangereux ?
« TOUT PROJET ÉDUCATIF DOIT ÊTRE DÉTERMINÉ PAR L’OBJECTIF DE PERMETTRE AUX
JEUNES DE CONSTRUIRE LEUR AVENIR »
Il faut arrêter
d’être frileux. L’objectif est de développer les pays. Dans le contexte actuel,
il est impossible de le faire sans le renforcement du secteur privé, sans
favoriser l’entreprenariat des jeunes. Mais il est évident que les
gouvernements doivent fixer un cadre pour éviter que cela n’aboutisse à des
inégalités dans l’accès à l’éducation de base. C’est de leur responsabilité.
Par ailleurs, des
boucliers existent désormais. Le rôle de la société civile est déterminant pour
faire pression sur les responsables politiques afin qu’ils n’abandonnent pas
complètement ce secteur aux privés. Mais ce n’est qu’en dialoguant, en créant
des synergies et en expérimentant des solutions que nous pourrons obtenir des
résultats.
Lire aussi : Il
faut soutenir la création d’universités d’excellence en Afrique
Etes-vous en train d’esquisser l’idée d’un modèle
unique en matière d’éducation ?
Non. Parce que dans ce domaine, il ne devrait pas y avoir un modèle, mais
des modèles qui correspondent aux spécificités et aux besoins de chaque pays.
Mais tous doivent être déterminés par l’objectif de permettre aux jeunes de
construire leur avenir.
Pour moi, un
jeune qui ne trouve pas une activité génératrice de revenus après sa formation,
c’est un échec et cela représente une menace pour l’équilibre et la stabilité
d’une société. C’est cela qui est à l’origine de tous les mouvements citoyens
qui s’organisent pour réclamer une vie meilleure. Et comme certains dirigeants
ne comprennent pas cette motivation légitime, ils finissent par considérer ces
jeunes comme des ennemis.
Lire aussi : «
Nous sommes la nouvelle jeunesse africaine engagée »
Des fondations philanthropiques s’investissent
dans des projets éducatifs en Afrique grâce au soutien des entreprises. Y
a-t-il un business de la philanthropie en Afrique ?
Toutes ces organisations font un travail considérable en matière de santé,
d’éducation, d’accès à l’énergie, avec un impact positif pour l’amélioration de
la vie des communautés. Il est vrai que les entreprises qui aident
financièrement ou non ces fondations à réaliser leurs projets profitent d’une
plus grande visibilité et parfois finissent par avoir des sortes de monopoles
dans les pays concernés. Mais qu’il y a-t-il de pire ? Ne rien faire ou tenter
des choses où chacun trouve son compte, en particulier les communautés les plus
défavorisées ?
Raoul Mbog
envoyé spécial à Marrakech
LE MONDE- Afrique
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